1. Accueil
  2. Blog Refinitiv
  3. Les sanctions contre la Russie pourraient-elles entraîner un effet boomerang ?

June 20, 2022 | réglementation

Les sanctions contre la Russie pourraient-elles entraîner un effet boomerang ?

Edward Chancellor
Edward Chancellor
Contributeur Breakingviews

Edward Chancellor analyse à quel point les sanctions contre la Russie sont susceptibles d'être efficaces, compte tenu des leçons du passé, de l'unité internationale et de la capacité de la Russie à résister aux conséquences.

  1. Depuis l'invasion tragique de l'Ukraine par le président Vladimir Poutine, la Russie a été exclue du système financier occidental et sanctionnée au moyen de diverses sanctions économiques et financières internationales.
  2. S'adressant au Forum économique mondial en mai dernier, le président ukrainien Volodymyr Zelenskiy a appelé à des sanctions « maximales » afin que la Russie « prenne pleinement conscience des conséquences immédiates de ses actions ».
  3. De telles mesures sont souvent considérées par les décideurs politiques comme un moyen relativement facile et rapide pour les nations respectueuses de la loi de sanctionner les transgresseurs. Mais l'histoire montre que leur efficacité est incertaine et qu'elles peuvent même parfois entraîner un effet boomerang. En outre, s'il y a un pays qui a prouvé qu'il peut résister aux sanctions, c'est bien la Russie.

L'auteur est un chroniqueur de Reuters Breakingviews. Les opinions exprimées sont les siennes.

Refinitiv est le fournisseur exclusif d'actualités Reuters pour la communauté financière.

Pour recevoir davantage d'informations axées sur les données dans votre boîte de réception, abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire Perspectives de Refinitiv.

D'après le nouveau livre de Nicholas Mulder, The Economic Weapon, les premières sanctions remontent à 432 av. J.-C, lorsqu'Athènes imposa un embargo commercial à la ville portuaire grecque de Megara.

Cependant, ce n'est qu'au cours de la Première Guerre mondiale que leur utilisation s'intensifia, lorsque la Grande-Bretagne et la France imposèrent un blocus économique important contre l'Allemagne et ses alliés. Après la guerre, les sanctions furent considérées comme un outil de maintien de la paix entre les nations. D'après le président américain Woodrow Wilson, la menace était celle d'un « isolement absolu… ramenant une nation à la raison ».

La Société des Nations fut créée en 1920 et disposait du pouvoir d'imposer des sanctions aux pays qui enfreignaient le droit international. Au cours de ses premières années, l'organisation a connu quelques succès : elle a par exemple mis un terme aux tentatives d'incursions de la Grèce et de la Yougoslavie dans les États voisins en menaçant ces États de mettre fin à leurs échanges commerciaux extérieurs.

Le vrai test est survenu en 1935, lorsque le premier ministre italien Mussolini envahit l'Éthiopie.

Parmi les 58 membres de la Société des Nations, 52 d'entre eux imposèrent des sanctions à l'Italie. Leurs exportations vers le pays furent restreintes dans le but de limiter son accès aux réserves de change ainsi que sa capacité à mener une guerre.

Pourtant, après plusieurs mois de combats, l'armée de Mussolini est entrée à Addis-Abeba et les sanctions furent levées.

Les données World-Check Risk Intelligence de Refinitiv sont utilisées et approuvées depuis plus de vingt ans par les plus grandes entreprises mondiales

I. Leçons du passé

Plusieurs leçons peuvent être tirées de cet échec.

Tout d'abord, les armes économiques sont moins efficaces lorsqu'elles sont déployées à l'encontre de grands États.

Deuxièmement, les premiers défenseurs des sanctions tels que le président Wilson, s'appuyaient sur une conception naïve de la nature humaine. Ils pensaient que les populations mettraient fin à leurs mesures agressives dès lors que leurs intérêts matériels seraient menacés.

Malheureusement, les nations et leurs dirigeants, en particulier les régimes autocratiques, ont parfois d'autres priorités.

Troisièmement, les embargos économiques incomplets sont inefficaces. Les États-Unis et l'Allemagne sont restés neutres pendant la guerre italo-éthiopienne et la Société des Nations n'a pas réussi à couper l'Italie de ses approvisionnements pétroliers.

L'isolement de Mussolini sur la scène internationale l'a poussé à se tourner vers Hitler. Craignant que l'arme économique soit ensuite déployée contre eux, l'Allemagne et le Japon ont accéléré leur recherche d'autosuffisance en matières premières.

Dans le cas de l'Allemagne, cela impliquait d'aller plus loin en Europe centrale. C'est pourquoi le pays annexa l'Autriche en 1938 et l'ensemble de la Tchécoslovaquie l'année suivante. Hitler a même affirmé à un diplomate étranger en 1939 qu'il avait besoin de l'Ukraine pour que les Allemands ne soient plus jamais affamés.

Les besoins désespérés du Japon en pétrole poussèrent le pays au conflit avec les États-Unis. C'est ainsi que les sanctions contre l'Italie ont accéléré le début de la Deuxième Guerre mondiale.

II. La résilience de la Russie face aux sanctions

Aujourd'hui, la Russie de Poutine constitue le paria de la communauté internationale.

Contrairement à l'Italie, l'abondance de ressources naturelles au sein du pays le rend particulièrement résistant aux pressions économiques extérieures. Les premières sanctions visant la Russie furent appliquées à la suite de la prise du pouvoir par les bolchéviques en 1917, que Nicholas Mulder qualifie de forme de « contre-révolution à bas prix ».

Le nouveau régime parvint à surmonter cette situation de siège économique et usa même de son monopole sur le commerce pour retenir les matières premières destinées à l'Europe, tout comme la Russie empêche aujourd'hui le blé ukrainien d'atteindre les marchés étrangers. Au début des années 1930, l'arrêt quasi total du commerce extérieur des Soviétiques sonna la fin de l'autarcie de la Russie.

De plus, l'opposition internationale envers Poutine est loin d'être unanime.

D'après Simon Evenett, expert en commerce international, pour chaque pays sanctionnant la Russie, trois autres refusent d'appliquer toute mesure contraignante à l'encontre de cette dernière. C'est le cas de la Chine et l'Inde. Près de la moitié des exportations russes, en forte augmentation au cours des dix dernières années, sont destinées à ces pays.

En outre, l'Europe reste dépendante de l'énergie russe. Au cours des trois derniers mois, les importations russes ont chuté plus rapidement que les exportations, produisant un excédent commercial record.

Même si les pays occidentaux ont saisi les réserves de change de la Russie, le rouble a pris de la valeur face au dollar américain. Simon Evenett estime qu'un embargo européen sur les importations d'énergie russe ferait baisser définitivement le PIB russe de seulement 1 %.

 III. Investissements étrangers en Russie

Au début de la Première Guerre mondiale, la Russie représentait environ un quart des investissements français à l'étranger. Le président Georges Clemenceau imposa des sanctions dans le faible espoir de faire respecter par les bolchéviques les obligations convenues avec le régime tsariste précédent.

Mais les temps ont changé. Washington tente désormais activement de contourner le caractère indispensable de la Russie en interdisant les banques occidentales de recevoir des paiements de Moscou. La valeur des actions et obligations russes détenues par des étrangers a été réduite à zéro.

Des multinationales, dont McDonald's (MCD.N), Renault (RENA.PA), British American Tobacco (BATS.L), Heineken (HEIN.AS) et BP (BP.L) ont entrepris de vendre leurs actifs russes au rabais.

Il est difficile d'envisager que la réduction de centaines de milliards de dollars d'investissements étrangers en Russie puisse persuader le président Poutine de changer son comportement. Pourtant, ces événements remarquables mettent en lumière une autre caractéristique inopportune concernant les sanctions : celles-ci entraînent la suppression des protections juridiques traditionnelles accordées à la propriété privée, exposant les investisseurs à des déprédations arbitraires des États.

Les premiers opposants aux restrictions économiques faisaient l'état d'une préoccupation d'autant plus grande. Selon eux, les sanctions estompent la frontière entre l'état de guerre et celui de paix. Il n'est pas facile de distinguer à quel moment une nation sanctionnée considérera une sanction supplémentaire comme un acte de guerre. George Soros, un investisseur milliardaire, a déclaré au public de Davos que, selon lui, la Troisième Guerre mondiale était déjà en cours.

Le danger à plus long terme est que l'invasion de l'Ukraine et les sanctions russes qui l'accompagnent, à l'image de celles imposées à l'Italie au milieu des années 1930, fourniront un nouvel élan à la démondialisation, poussant la Russie dans le camp de la Chine et bouleversant le système financier basé sur le dollar américain.

Evenett met en garde contre le fait que l'avènement d'un monde multipolaire pourrait conduire au blocage de davantage d'actifs pour les investisseurs occidentaux. Cette issue n'est pas souhaitable, mais la chaîne d'événements mise en branle pourrait la rendre inévitable.

 IV. Criblage des meilleures pratiques

Chez Refinitiv, nous anticipons l'incertitude continue dans le contexte de sanctions en constante évolution, alors que les événements du premier semestre 2022 continuent de se jouer.

Nous ferons tout notre possible pour garantir que notre contenu en matière de sanctions demeure vaste et précis afin de mieux répondre à nos clients dans ces circonstances difficiles.

La base de données exclusive World-Check Risk Intelligence de Refinitiv dispose de 22 ans d'expérience dans la quantification et le suivi des listes de sanctions, ce qui nous permet de fournir des données fiables à nos clients dans le monde entier.